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Entretiens

Jean-louis Germain, peintre,
de  Philippe Aubert

Entretien avec Jean-Louis Germain

Léa Chauvel-Lévy : Quelle formation artistique avez-vous suivi ?


Jean-Louis Germain : Aucune, pourrions-nous dire... Mais j'ai toujours peint. La peinture a été l'obsession de ma vie. A la maison, à partir de 10 ans, il y avait toujours mes aquarelles qui séchaient sur les radiateurs et gondolaient ici ou là. Cela ennuyait d'ailleurs toute la famille ! C'était un peu du « tachisme avant l'heure ». S'il faut raconter la genèse, on peut dire que Mademoiselle Vignetey, très bonne professeur d'arts plastiques aux Roches a été formatrice pour moi. Elle nous demandait de peindre le cul des vaches. Oui, parce que vous savez, le cul des chevaux est rond, celui des vaches est pointu... Vous savez peindre cela, vous savez tout peindre ! Elle avait également eu la bonne idée de nous emmener rendre visite au peintre Vlaminck. Je me souviens du geste qu'il avait eu reprenant mes dessins. Puis nous y sommes revenus et avons même vécu une belle anecdote. Alors qu'un expert du travail de Vlaminck était venu lui demander son avis sur l'authenticité de certaines toiles, Vlaminck a alors décidé d'en jeter quelques-unes au feu. L'expert lui a alors demandé « Vous êtes sûr qu'elles n'étaient pas de vous ? ». Vlaminck a rétorqué « Je ne sais pas, mais de toute façon elles étaient moches ! ». Plus tard, je suivrai les cours d'André Lhote, à l'Académie de la Grande Chaumière. C'était une Académie libre qui développait l'indépendance des artistes. Il y avait là un bon enseignement, mais mon expérience aux Etats-Unis a été beaucoup plus fondatrice.

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L'Université de Stanford... vous y étudiez de 1955 à 1959 et rencontrez de nombreux artistes qui vous marquent et font évoluer votre style, racontez-nous.

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J'ai même participé à une exposition à Stanford ! Mais ma première vraie exposition sera parisienne, plus tard, à la galerie Riquelme. A Stanford, j'évoluais dans un cercle d'amis peintres. J'avais là-bas eu la chance de rencontrer des peintres qui sont aujourd’hui de très grands artistes, comme Diebenkorn. Ensuite, j'ai eu la chance de visiter l'atelier de Rothko, et de cotoyer des gens comme Sam Francis et Larry Rivers ; et l'œuvre de Barnett Newman, que j'ai rencontré à New York, a beaucoup compté pour moi. Je me suis amplement inspiré d'eux, oui. Lorsque j'ai vu qu'ils réalisaient de grandes toiles qui avaient un souffle et une dimension que l'on ne trouvait pas en Europe, j'ai pris une direction différente.

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Peut-on parler de rupture dans votre style ?

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Oui, très nettement. Jusque-là, je pratiquais une peinture exclusivement figurative. Je me suis mis à la peinture abstraite dans les années 60. Ce que j'avais vu lors de mes études à la Grande Chaumière aux cours d'André Lhote me paraissait tout d'un coup daté même si j'en reconnaissais évidemment la belle technique. Les États-unis, pour un jeune garçon comme moi qui arrivait du vieux continent... j'avais le sentiment d'être Christophe Colomb. Bien que je sois toujours resté profondément français, les États-Unis m'ont permis de passer à autre chose d'un point de vue pictural.

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Figuratif, abstrait, vous faites des allers-retours aujourd'hui ?

 

Aujourd'hui, je pratique un va et vient entre la figuration et l'abstraction. Je passe de l'un à l'autre de façon indéterminée. Je me ressource un peu avec le figuratif. Dans l'abstrait il y a quelque chose d'un peu desséchant car on ne sait pas trop où l'on va... L'intérêt de l'abstrait par rapport au figuratif c'est qu'il n'y a plus que le travail de «peinture-peinture » qui compte.

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Votre première exposition parisienne date de quelques années après votre retour des Etats-Unis...

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Oui, cela remonte à l'année 1964, c'était à la galerie Riquelme, rue de l'Échaudé. J'avais participé là à un group show où exposaient aussi Olivier Debré et Michel Parmentier (qui allait fonder avec Daniel Buren deux ans plus tard le célèbre groupe BMPT, ndlr). J'en garde un excellent souvenir.

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Comment avez-vous rencontré Lucien Durand qui fut votre premier galeriste ?

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Je suis bien incapable d'aller me vendre auprès de galeristes. C'est donc par l'entremise de Denise René que j'ai pu exposer chez Lucien Durand, qui était à l'époque un des grands galeristes de Paris. Coup sur coup, chez Durand, j'ai bénéficié de deux expositions personnelles en 76 et 78.

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Vous êtes-vous jamais senti appartenir à un mouvement artistique ?

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Non, jamais. Peut-être tout de même Supports / Surfaces de qui j'étais proche. Pincemin, un très bon ami, a rejoint officiellement le mouvement en 1971, moi je ne l'ai pas fait. Mais dans la mesure où il était un camarade, son groupe de pensée a sans doute pu m'influencer. Je l'avais rencontré lorsque j'avais mon atelier dans le XVème arrondissement. Il y avait une belle ambiance dans cette ancienne usine de staffeurs' au 15, rue Fondary. C'était formidable, vivait à côté de moi le critique Bernard Larmache Vadel, chez qui venaient des artistes comme Voss, Pincemin, Les Putman et beaucoup d'autres. J'aimais beaucoup ces gens. Mais je suis quand même un grand inclassable ! Pincemin, était du Nord, moi du sud. 

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Votre peinture est gorgée de soleil, vous gardez un souvenir fort de votre enfance algérienne ?

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Très certainement. Tous mes tableaux peuvent être appelés "La Mer" — mais de préférence la Méditerranée. Mes Baigneurs sont un souvenir de Méditerranée. La mer, la mer... elle a tellement compté pour moi. Il y a dans mes séries de Baigneurs des couleurs ocre, de sable chaud. Les teintes, les gammes chromatiques rappellent évidemment la chaleur, l'eau, la lumière du sud. Une lumière qui est d'ailleurs très proche de celle que j'ai connue sur la côte Ouest des Etats-Unis. Blanche, effarante.

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Les Baigneurs sont un thème dominant dans la partie figurative de votre création...

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Cela part d'un souvenir, d'une vision. Je suis allé me promener sur une plage de nudistes. Ce qui était beau fut de voir les corps allongés les uns au-dessus des autres. Dans ma perception, les plans étaient comme effacés. J'ai tenu, sur certaines de mes toiles, à les garder disposés ainsi, comme mon œil les avais vus. Je les ai peints comme s'ils étaient sur des gradins, vous voyez ?

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Vous vouliez jouer avec la focale ?

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Oui ! C'est par là que je suis revenu au figuratif. J'ai fait du figuratif jusqu'à 20 ans, puis l'Amérique et l'expressionisme abstrait, et un retour au figuratif par les Baigneurs, on peut dire cela comme ça ! Un retour à l'enfance ?...

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Vous êtes également portraitiste, c'est un autre de vos motif.

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J'aime bien techniquement réaliser quelque chose de ressemblant, cela m'amuse beaucoup. J'aime que l'on voie que je suis capable d'être dans la reproduction et que l'on puisse identifier le sujet. Le prince du Danemark, on le reconnaît bien non ?

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Vous éprouvez le même plaisir dans le figuratif et l'abstrait ?

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Oui. Vraiment. Indistinctement. Mais, je trouve peut-être plus de facilité dans le figuratif. A force de travail, on y arrive toujours...

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Pour finir, Jean-Louis Germain, vous intitulez votre exposition Traces, un mot peut-être sur ce choix ?

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Vous savez ces traces que l'on laisse après être revenu sur ses gestes… Je laisse apparents les changements de direction, ainsi de la vie. Une œuvre n'est jamais terminée. « Conclure est une bêtise » disait Flaubert ! J'aime les choses ouvertes. Je crois que les traces que laisse voir une peinture témoignent davantage que l'œuvre elle-même. Il faut par ailleurs regarder une toile par rapport à une autre. Personnellement, ce qui me plaît c'est le lien qui unit les toiles entre elles et montre une certaine cohérence, (à reconstruire à travers tant d'années !). C'est même la seule chose réconfortante, ce courant qui passe entre les œuvres, quand je regarde en arrière. C'est aussi cela que j'appelle mes traces.

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Ces traces reflètent en somme différentes époques. La sélection opérée par le commissaire (Anatole Maggiar, ndlr) les met à nu...

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Je suis très content que le commissaire ait pu voir une telle cohérence entre les différentes périodes présentées dans l'exposition. Sont présentées des toiles des années 60, 70 et 80 jusqu'aux plus récentes… Il y a une continuité entre ces travaux. Je cherche toujours un peu la même chose au fond... Le hasard et la liberté. Le hasard me fascine, dans le sens anglais du terme : tout ce que l'on ne contrôle pas. Entre toutes ces traces, le hasard, qui n'est pas accidentel, a tissé son fil.

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J'aime beaucoup ce texte de Descartes, qui exprime bien mon sentiment du rapport entre la figuration et l'abstraction :  

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"Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa figure, sa couleur, sa grandeur sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent faire distinctement connaître un corps se rencontrent en celui-ci. Mais voici que, pendant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu'elle demeure et personne ne le peut nier. Qu'est-ce donc que l'on connaissais en ce morceau de cire avec tant de distinction ?" (Descartes, Méditations métaphysiques, seconde méditation, 1641. Pléiade, p. 279-281, § 11 à 13) 

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